En ce temps-là, tout était grand. Nous passions nos journées dans de grandes écoles et nos nuits dans de grands appartements. Nous avions de grandes mains, des grands-parents et de grandes espérances. Les adjectifs qui revenaient le plus souvent dans nos conversations étaient «grandiose», « immense », « gigantesque », « énorme ». Nous-mêmes n'avions probablement pas terminé notre croissance.
De grands hommes ordonnaient de grands travaux, d'autres opéraient de grands change- ments un peu plus à droite sur la carte de la Grande Europe. De grandes épidémies menaçaient nos grandes envolées lyriques.
Nous avions grand-peur que cela ne tourne mal.
À force, nous étions tentés d'être des gagne-petit. Je me souviens que nous traînions beaucoup. Il y avait des après-midi pluvieux avec des amis qui passaient. Il y avait quelques fêtes et des filles qui respiraient. On pouvait clairement voir l'air entrer dans leurs poumons, gonfler leur poitrine et ressortir par les narines. Il y avait la mode des chemises à carreaux et celle du nihilisme post-moderne. Il y avait des tulipes dans le vase du salon et une planche de bois avec du saucisson coupé en tranches épaisses sur la table.
Bref, il n'y avait pas de quoi se plaindre.
-Frédérique Beigbeider
Saturday, April 10, 2010
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